Focus sur… la Catalogne

Publié le 18 février 2019 Mis à jour le 31 mars 2020

Le 12 février commencera l’exceptionnel procès des indépendantistes catalans. 9 hommes et 3 femmes seront jugés pour avoir participé, à divers niveaux, à l’organisation du référendum du 1er octobre 2017 (dit 1-O).

Date(s)

le 18 février 2019

Par Gautier Mellot

Le 12 février commencera l’exceptionnel procès des indépendantistes catalans. 9 hommes et 3 femmes seront jugés pour avoir participé, à divers niveaux, à l’organisation du référendum du 1er octobre 2017 (dit 1-O).

Face aux velléités indépendantistes, le gouvernement espagnol, alors dirigé par Mariano Rajoy (PP) avait choisit la force : refus des négociations, impressionnant déploiement de forces de l’ordre pour empêcher la tenue du scrutin (préalablement déclaré inconstitutionnel par la Cour Suprême espagnole), application de l’article 155 de la Constitution pour reprendre en main les institutions de la Généralité de Catalogne. Bien plus grave, l’État espagnol avait misé sur une judiciarisation à outrance du problème catalan, d’où les poursuites exercées contre des personnalités du milieu politique et associatif indépendantistes. Le successeur de Rajoy, Pedro Sanchez (PSOE), pourtant très critique de la position du PP avait continué dans la logique répressive, brandissant une nouvelle fois la menace de l’application de l’article 155 et refusant la libération des prisonniers politiques.

Trois infractions ont finalement été retenues par le Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne, la juridiction suprême (indépendante de la Généralité) dont dépendra le procès :
• le détournement de fonds publics contre les dirigeants ayant initié le référendum et contre les hauts fonctionnaires catalans l’ayant organisé. 7 ans de prison ont été requis pour cette infraction seule (le maximum étant fixé à 8 ans par l’article 432.3, b) du code pénal ;
 l’infraction de désobéissance vise elle uniquement les hauts fonctionnaires ne s’étant pas conformés aux ordres de Madrid. Ces derniers encourent de lourdes amendes sur le fondement de l’article 410.1 du code pénal.

Ces poursuites ne font pas l’objet d’une polémique autre que celle liée à la judiciarisation d’une question exclusivement politique. Le baromètre de la démocratie dressé annuellement par The Economist avait ainsi sévèrement rétrogradé l’Espagne. En cause d’après Joan Hoey, responsable Europe du barème : Le « légalisme exacerbé pour répondre à ce qui est essentiellement une question démocratique ou pour refuser un vote démocratique » qui n’est « pas vraiment la marque d’un gouvernement qui chérit pour de bon la démocratie et veut l’étendre ».

La controverse porte principalement sur le crime de rébellion dont devront répondre les dirigeants de la Généralité ainsi que les Jordi’s (Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, respectivement présidents de l’ANC et de Òmnium Cultural). Ce crime passible de 25 ans de prison consiste à attenter à l’ordre constitutionnel de manière violente. Or, aucune violence n’a manifestement été exercée ou supportée par les accusés, comme l’a justement rappelé le juge allemand responsable du mandat d’arrêt européen à l’encontre de Carles Puigdemont, ancien Président de l’exécutif catalan en exil et grand absent de ce procès. La justice espagnole justifie donc ce choix par la montée de manifestants sur une voiture de police lors d’une manifestation ! Fervent opposant à l’indépendance catalane, Manuel Valls va même jusqu’à justifier cette incrimination par l’usage d’une « violence politique », et ce au mépris total de la logique et du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, pourtant garant du fonctionnement démocratique de la justice répressive ! Cette qualification, qui inquiète et fait débat dans les milieux juridiques ainsi que dans l’opinion publique espagnole, met en lumière l’incapacité de l’Espagne à répondre à l’indépendantisme autrement que par la criminalisation de l’action politique.

Ce procès hors-norme durera plusieurs mois et sera scruté par tout un pays. De la même manière que l’autoritarisme de Rajoy avait achevé de convaincre bon nombres de Catalans indécis, et que le soutien de l’Union européenne à ce dernier avait tempéré l’européisme historique de la Catalogne, la décision du Tribunal Suprême aura des conséquences considérables sur la paysage politique espagnol.

Mis à jour le 31 mars 2020