7 lieues 1 livre : La littérature jeunesse sans frontières - Entretien avec Noémie Bellanger

Publié le 29 décembre 2017 Mis à jour le 4 octobre 2018

Noémie Bellanger est une ancienne étudiante de l'université Paris-Nanterre. Elle y a obtenu un master « Métiers du livre » (parcours Édition), effectué au pôle Saint-Cloud, et a soutenu l'année dernière un mémoire sur l'influence des jeux vidéos sur les albums papier jeunesse. À 23 ans, elle a décidé de se lancer dans un tour du monde de la littérature jeunesse : 8 mois, montre en main, pour découvrir 7 maisons d'édition, chacune dans un pays différent. Tel'est le pari qu'elle s'est lancée. En attendant son départ, le 2 janvier 2018, et ses compte-rendus mensuels relatant son périple et ses impressions (que vous pourrez retrouver sur notre site internet), notre baroudeuse férue de littérature jeunesse a accepté une entrevue avec Le Phare Ouest, toute en rires et en humilité.



Comment est née l'idée de ce projet ?
Il est né d'une résolution de nouvelle année, l'année dernière. J'avais besoin d'un projet qui me tienne toute l'année parce que — je vais être honnête, j'ai connu un master 2 un peu ennuyeux et il me fallait réellement un but pour m'occuper pendant cette deuxième année.
J'étais déjà partie à l'étranger pour faire des stages dans des maisons d'éditions en Angleterre et au Liban notamment, et j'ai eu l'idée de réitérer l'expérience mais à plus grande échelle.

Pourquoi la littérature jeunesse ?
Parce que j'aime la complémentarité qu'il peut y avoir entre l'image, le texte et le support. C'est quelque chose que l'on retrouve en jeunesse et pas forcément ailleurs, ce qui offre énormément de libertés. Par exemple, récemment, j'étais en bibliothèque pour faire des recherches sur certains bouquins et pour voir ce qui se fait en ce moment (en littérature jeunesse. NDLR), et j'ai lu un texte qui débutait par « Bonjour, je suis Catchman, mais mon vrai blaze, c'est Raoul.. » : il existe une liberté de ton que l'on ne peut retrouver qu'en littérature jeunesse. On voit aussi de superbes illustrations parfois, des livres qui ne ressemblent pas forcément à des livres… Il y a vraiment beaucoup de créativité, surtout en France. De plus, le lectorat jeunesse est un lectorat particulier. J'ai déjà vu des auteurs venir faire des lectures dans des écoles et on constate que les enfants ne lisent pas l'histoire, mais qu'ils la vivent.

Le choix des pays dans lesquels tu vas aller répond-il à une réelle envie ou tu as postulé en fonction des endroits qui pouvaient t'accueillir ?
Le choix des pays correspond à leur emplacement géographique : je voulais pouvoir découvrir la littérature jeunesse telle qu'elle existe sur chaque continent. Néanmoins, je n'ai pas vraiment choisi en fonction des pays, mais plutôt en fonction des maisons d'édition : je voulais des maisons d'édition assez « cadrées ». Certaines correspondaient à mon premier choix, d'autres à mon deuxième, voire troisième choix. Mais je suis plutôt contente du résultat.

Tu n'es pas donc pas déçue de tes destinations et des maisons d'édition avec lesquelles tu vas travailler ?
Non, je ne suis pas déçue. Des problématiques différentes sont posées selon les pays. Il y avait aussi des contraintes toutes bêtes à prendre en considération, comme la langue. Par exemple, on m'a demandé dans quel pays du continent asiatique j'irai ; j'ai répondu que j'allais en Inde et on m'a dit que ce n'était pas réellement le continent asiatique... Mais, partir en Chine aurait été compliqué. J'ai également eu une proposition au Japon qui était très intéressante, mais là encore, il y avait le barrage de la langue. Je préfère pouvoir communiquer avec les gens sur place — ce qui sera déjà une bonne chose ! (rires) — et, au-delà de ça, pouvoir comprendre les livres… C'est quand même le plus important.

Il y a aussi d'autres paramètres à prendre en compte. Par exemple, pour la partie du globe que j'appelle « le  monde arabe », j'avais repéré une maison d'édition que j'ai rencontrée à Bologne, en Italie, mais le feeling n'est pas passé. Si, dès le premier rendez-vous, le feeling ne passe pas, ça s'annonce compliqué pour la suite.

Qu'est-ce qui t'intéresse dans le fait de découvrir et de faire découvrir la littérature jeunesse telle qu'elle est conçue dans différents pays ?
Ce qui m'intéresse en premier lieu, c'est justement de faire découvrir la littérature jeunesse, la médiatiser davantage, car elle ne l'est pas du tout. Si on se penche sur les cas des émissions de radio ou de télé, on se rend compte qu'il n'y a quasiment rien sur le sujet. J'aimerais aussi mettre en avant le métier d'éditeur car peu de monde sait ce que c'est : mes parents les premiers, et parfois même, des personnes même du métier du livre. Ce qui est intéressant aussi dans le fait d'aller dans d'autres pays, c'est que l'on découvre d'autres manières de travailler : le livre est à la fois universel et lié à la culture propre d'un pays. Le livre jeunesse encore plus, puisqu'il correspond à une question d'éducation : son image va donc varier selon les pays. Il y a des rapports à la couleur, à la façon d'illustrer qui sont différents et propres à chaque pays. Je pense notamment à l'Inde, où l'on a des illustrations sur le sol et/ou sur les murs qui vont devoir être reproduites sur le support « livre ». Les enjeux du livre sont différents aussi selon les pays, dans le sens où, par exemple, en France, il y a une véritable surproduction littéraire, le but étant surtout de parvenir à se faire une place en librairie, alors que, dans d'autres pays, on va plutôt envisager la littérature jeunesse comme la manière d'amener un enfant à avoir un livre dans les mains, Elle va poser des questions de langage : au Maroc par exemple, dans les campagnes, les Marocains ne parlent pas arabe, mais des dialectes. Comment amène-t-on des enfants à lire un livre qui ne parle pas leur langue ? La question de la traduction se pose aussi, notamment dans les pays anglo-saxons : on se rend compte que les livres sont souvent traduits de l'anglais vers d'autres langues, et que le cas inverse est plutôt rare, parce qu'il y a une grosse production de livres en langue anglaise. Chaque maison d'édition dans laquelle je vais a ses spécificités et je vais essayer de les montrer au cours de mon périple.

Appréhendes-tu ton séjour loin de tes amis, de ta famille, de tout ce qui t'est familié ?
Oui et non. Étant donné que j'ai déjà été amenée à faire des stages à l'étranger, je n'appréhende pas trop le fait de partir. Mais huit mois, c'est tout de même long. Je pense cependant, qu'ils vont passer très vite, du fait que je vais passer seulement un mois dans chaque pays, ce qui est assez court. Donc non, je n'appréhende pas trop. Mais je sais que comme pour tout voyage il va y avoir des moments de doute, des moments où je vais me dire « Qu'est-ce que je fous là ? », des moments où je vais me poser beaucoup de questions… Il y a aussi la question des chocs culturels qui peuvent parfois effrayer, mais qui font aussi la richesse du voyage. Pour le moment, je ne réalise pas trop… Je pense que je vais commencer à me rendre compte de ce qui m'arrive le 1er ou le 2 (date de son départ. NDLR) en allant à l'aéroport ! (rires) Mais pour le moment, et d'une manière générale, non, je n'ai pas peur.

Qu'est-ce qui a été le plus dur ? Choisir de partir, les formalités administratives, trouver les maisons d'édition prêtes à t'accueillir, trouver des soutiens, trouver les fonds ?

Je pense que ce qui est vraiment le plus dur, de manière générale, c'est de communiquer autour du projet. Les formalités administratives, c'est chiant (rires), mais on arrive à s'en sortir : il y a autant de mauvaises que de bonnes surprises !
Trouver des maisons d'édition a été relativement facile. C'est réellement le fait de communiquer autour du projet qui est le plus difficile, peut-être même plus que ce que je pensais —, parce que j'ai beau y mettre tout l'entrain que je veux, ce n'est pas facile de trouver des personnes que ça intéresse. Ça reste un projet assez personnel, il faut donc réussir à en faire quelque chose qui soit un peu plus « grand public ». Comme je le disais, les livres jeunesse ne parlent pas à tout le monde. On se rend compte aussi de la réalité du monde du travail que j'avais déjà pu entrevoir lors de mes stages. Par exemple, j'ai envoyé des messages à des boîtes mail et je me suis réellement demandé : « Est-ce que mon message est lu ? » Ça m'est arrivé avec une maison d'édition française, et pourtant je connaissais le destinataire : je lui ai envoyé un mail en avril et je n'ai eu une réponse qu'en… novembre ! Au moins, je me suis dit que j'avais fini par avoir une réponse (rires). C'est parfois beaucoup, beaucoup d'investissement pour pas forcément grand-chose.

Est-ce décourageant ?
Hmmm… Pas décourageant, non, puisque je ne pensais pas que le projet arriverait là où il en est aujourd'hui. J'ai plus de raisons de me réjouir que de me décourager ! Mais c'est vrai que parfois je me demande pourquoi je mets autant d'énergie pour des résultats si dérisoires.

As-tu des attentes particulières, des espoirs quant à ce projet ? Des peurs aussi ?
J'essaie de ne pas avoir trop d'attentes, de ne pas trop planifier les choses : je vais me laisser guider dans les différentes maisons d'édition que je vais intégrer… en espérant qu'elles ne soient pas dans la même démarche, du genre : « on va attendre de voir ce qu'elle veut faire ». J'appréhende un peu ce moment de suspense quand je vais arriver. Mes attentes se situent surtout au niveau de la résonance du projet : j'espère vraiment qu'il va pouvoir trouver un écho ici, pour que je puisse en faire quelque chose en revenant. Et j'avoue nourrir l'espoir de trouver un pays qui m'accueille par la suite (pour un travail NDLR).

D'ailleurs, que serait pour toi le métier idéal ?
Éditrice jeunesse, sans hésiter ! Cependant, j'avoue ne pas être certaine de vouloir le faire en France, par rapport à cette production riche et dense que j'évoquais tout à l'heure. Je pense qu'il peut y avoir certains éléments présents dans d'autres pays qui peuvent être intéressants. Je parlais de liberté de ton tout à l'heure, et je trouve qu'en France, à ce niveau, on est moins forts que dans d'autres pays. Mais je suis consciente qu'il est difficile d'être éditeur dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle. Je verrai bien...

Comment l'idée du nom du projet t'est-elle venue ? Et pourquoi « lieues » et pas  « lieux » ? Est-ce une référence au Chat Botté et aux bottes de 7 lieues ?
Exactement. Ce nom a d'ailleurs suscité de nombreuses réactions : certains étaient pour, d'autres contre. Ce nom a été compliqué à trouver parce que je voulais absolument une référence à la littérature jeunesse. J'aime bien le jeu de mots, je trouve qu'il sonne bien. Les critiques étaient surtout centrées sur les termes « un livre » : on m'a demandé pourquoi un livre précisément, si c'était parce que je voulais faire un livre à la fin de mon voyage, ou si c'était parce que mon projet ne concernait qu'un seul livre, etc. Ce n'est pas le but : ni faire un livre, ni étudier plusieurs traductions d'un seul et même livre dans différents pays. Comme je le disais, le livre est à la fois universel et il a en même temps ses particularités dans chaque pays. Moi, j'aime bien ce nom. J'en suis contente et je compte le garder.

Quel serait ton conseil pour nos lecteurs qui ont, peut-être, comme toi, des rêves et des projets un peu fous ?
Je leur dirai premièrement « Allez-y ! » (rires) , qu'il ne faut pas hésiter. On regarde toujours les autres avec envie en se disant : « Machin fait ça, ça a l'air bien ». Moi la première, quand je tombe sur certains blogs. Mais si vous avez une bonne idée, elle sera toujours bien accueillie. Et je trouve que c'est important, quand on est jeune, d'être énergique : on ne sera pas énergiques quand on aura 80 ans — enfin, j'espère l'être toujours, mais je pense en avoir un peu moins les moyens ! Je crois aussi qu'il y a des périodes charnières dans la vie, par exemple, quand on est sur le point d'entrer sur le marché du travail. J'avoue avoir fait en partie ce projet parce que mon entrée dans le monde du travail me fait un peu peur et que je n'étais pas contre retarder un peu l'échéance (rires). On est à un moment où on n'a pas encore de grandes responsabilités, où on n'a pas encore énormément de choses à gérer, il faut donc en profiter et foncer. Il ne faut pas hésiter à parler de ses idées autour de soi : il y aura toujours des personnes qui auront de bons tuyaux à nous donner pour améliorer notre projet et qui ont peut-être des contacts qui vont nous permettre de mettre notre projet sur pied. Il ne faut pas non plus se décourager. Ça fait un an que je suis sur ce projet et je commence seulement à en voir le bout. Je crois que n'importe quel projet vaut la peine d'être réalisé.


On souhaite à Noémie que son aventure soit un véritable conte de fées !

Rédigé par Mélina CATTOUX
30/11/2017

Mis à jour le 04 octobre 2018